ninasaul

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Ca vient de loin tu sais

 

Te dire qu’ils ont ça dans le sang. Enfiler des bas résilles sur leurs grosses cuisses poilues, marcher en talons hauts, mettre des faux seins et les montrer, des porte-jarretelles et des faux-cils, des boas, des mini-jupes. Se maquiller, beaucoup de rouge à lèvres et du bleu criard sur les yeux. Enfiler des vieilles fourrures piquées de fleurs. Descendre quelques binouzes avant d’aller remplir les rues et chanter en coeur les fondamentaux, Si tu veux pas qu’ta femme t’emmerde, te marie pas, te marie pas ! Et se saouler au son des fifres, des cuivres et des tambours. Et rigoler. 

 

Tous en vieilles putes à Mardi-Gras nos pères, tous les week-ends pendant huit semaines par tous les temps par toutes les pluies. Les plus belles couleurs de la ville. 

 

Ca vient de loin tu sais. D’avant les bateaux à moteur. Dunkerque-Islande. Deux mille kilomètres en pleine mer à la voile pour aller pêcher la morue. Départs en février, en mars ou en avril. Partir sur des goélettes de trente-six mètres. Ne jamais revenir peut-être. Pas d’assurances-vie pas de sécu. Les armateurs offraient des fêtes à leurs pêcheurs avant de partir, payaient moitié salaire. 

 

Six mois de mer du Nord sans plage. Du froid et de la pluie, et des tempêtes. Et des morues. Ils buvaient du genièvre et du café à bord. Pensaient-ils à l’autre moitié de salaire due au retour ?

 

Avaient-ils peur ? Partaient-ils résignés ? Etaient-ils saouls ? Est-ce qu'ils pleuraient ? Quand pleuraient-ils ? 

 

Ils priaient, leurs femmes aussi priaient. Et les enfants. Tout le monde priait à cette époque. 

 

Lequel s’est déguisé le premier pour rigoler ? Plein de genièvre. Les autres qui ont suivi. Ils ont pris ce qu’ils avaient sous la main au XVIIème siècle, les robes de leurs femmes ou de leurs mères. Pour rigoler. Ca vient de là les hommes habillés en femmes, les premiers déguisements de fortune pour les repas donnés en l’honneur du courage de ces marins-pêcheurs et pour leur en donner. Il en fallait. 

 

La pêche à la morue, celle-là, n’existe plus. Mais les fêtes continuent et n’ont de rivales que Rio. Elles ont failli mourrir pendant la guerre, la Seconde Guerre Mondiale surtout. Mais ils sont ça dans le sang tu sais. C’est reparti, et de plus belle. 

 

Dans le Sud ils me l’ont dit, ils en ont un aussi. Le Carnaval de Nice. J’ai beaucoup ri, j’en ris encore d’ailleurs. C‘est comme ça je leur ai dit, tu peux pas avoir le soleil ET le meilleur carnaval du monde. Il ont failli me mettre dehors, me renvoyer moi la morue ! Ils me regardaient bizarre. 

 

Ils font ça ici avec les Esstrangers, ils les regardent bizarre. Peut-être pour leur faire peur. 

 

Puis un jour ils t’offrent une cuisse de sanglier. Ils t’offrent une truffe. De l’huile de leurs olives. Ils t’invitent à manger les grives. Qui tournent dans la cheminée avec des bouts de chair qui se détachent bien cuites et qui tombent sur les morceaux de pain dessous que tu vas manger. Un truc de mecs. 

 

Tu commences aussi à vivre au rythme des vendanges, pas autant qu’eux tu sais. Ils ont ça dans le sang. 

 

Des fois, tu entends cette chanson que tu connais depuis l’éternité. On dirait le Sud… A chaque fois que tu l’entends, tu n’as qu’un envie, qu’elle ne s’arrête jamais. Tout comme tes fifres, tes cuivres et tes tambours. Amen.



14/09/2016
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