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Il ne savait pas qu'un jour l'argent servirait à faire disparaître les rides des visages des femmes

Tout va tellement vite Nina que tu as l’impression de vivre au vingt-deuxième siècle. C’est insupportable ce temps qui passe si vite. Ce temps qui ne cesse de s’’accélérer. Et de te faire perdre la tête et de faire perdre la tête au monde. 

 

Rassure-toi, ce n’est pas juste toi qui vieillit Nina. Le temps passe de plus en plus vite, de siècle en siècle, de jour en jour, de minute en minute. C’est le destin du temps que de s'accélérer quelque soit l’âge de l'humanité, sans pitié. Même pour les enfants le temps est devenu un TGV. Fini le temps de jouer tranquillement, une autre époque, tu suis ? Ou vais-je trop vite ? Je t'explique. Le siècle, celui de tes enfants, est une Ferrari mais à ce rythme-là, tu as perdu le goût de conduire. Et pourtant...  Toi qui adulais la vitesse, toi qui aimais le vertige, tous les vertiges, et surtout celui des excès … Toi Nina qui embrayais et débrayais avec plaisirs et bruyamment, savourant les changements de rapports, perdant la tête dans les virages et dans le vent qui n'existait que par le mouvement de ton bolide, et par ton pied sur l'accélérateur, Dieu ... Tu aimais conduire Nina, tu aimes conduire, tu as toujours aimé ça.

 

Mais conduis-tu cette Ferrari du Temps Nina que ton plaisir est de freiner à plein tubes. Plaisir jouissif. Freine Nina, freine ! Stoppe le Temps, Stoppe l’Epoque, Stoppe Tout. Tu rêves de vivre au ralenti. Ton ralenti rêvé est devenu l’unique rythme de tes rêves. Tu rêves encore tu rêves Nina, tu ne t'arrêtes jamais de rêver à vive allure ou à pas lents, personne ne te dicte la vitesse de tes rêves ... Et le temps sérieux, celui qui court celui qui vole ne te prendra pas de court dans tes rêves qui filent ! Tu rêves Nina et donc tu vis … Et à quand tu vis Nina tu rêves ... Et dans un de tes rêves, parmi tant d'autres, tu vois cet homme inconnu qui sous un soleil brûlant de Provence au dix-neuvième siècle, avant l’eau courante du vingtième siècle, avant les avions, avant la vitesse, avant de déraper ... tu vois cet homme qui égraine en silence un chapelet, avec pour seule musique ses souvenirs et ses souffrances et sa vie, chèrement payée. Sa femme peut-être est morte, et ses enfants aussi. Peut-être. Cet homme prie pour elle, pour sa femme. Cet l’homme prie pour eux, pour ses enfants. Cet homme prie pour lui-même. Cet homme prie seul, il prie sans eux. Et ses enfants sont partis trop tôt, à la naissance ou à la guerre, trop tôt.. Et sa femme aussi est partie trop tôt. Souviens-toi Nina, souviens-toi lecteur, c’est le dix-neuvième siècle. Le monde mourait avant quarante ans ! 

 

Cet homme priait pourquoi Nina ? Homme silencieux d'un silence de ses peines endurées et de ses deuils. Homme seul, avec ses peines lourdes dans un ventre creux, son chapelet dans les mains, et puis du mauvais vin jamais bien loin, toujours mauvais. Et un chapelet, et tu précises Nina, un chapelet fait de noyaux d’olives. Des noyaux mâchouillés puis séchés et desséchés, puis enfilés en chapelet, c'est ainsi qu'on passait le temps avant le câble ... Un noyau par prière,  et des noyaux qui lui filaient entre les doigts et qui peut-être avant avaient filé entre les doigts de sa femme ou de ses ancêtres. Noyaux de Dieu. Cet homme en priant rêvait-il d’un autre monde, d'un monde plus heureux moins douloureux plus langoureux ? Rêvait-il de vitesse, pour aller ailleurs, peut-être ? Avant la Ferrari, avant les hôpitaux, avant les obstétriciens qui auraient pu sauver sa femme ou ses enfants. Avant la chirurgie ? Avant la Ferrari, Oui bien avant, les chapelets des gens en Provence étaient faits de noyaux d’olives ou d’autres cailloux de bois. Et de voeux pieux.

 

Les voeux des hommes d’aujourd’hui ont-ils changé ? Les voeux des hommes sont-ils tous pieux ? L'ont-ils jamais été ? 

 

Cet homme que tu ne connais pas Nina et qui n’avait à l’époque pour seul miroir de ses rides et de sa vieillesse que les visages de ses voisins, que les flaques d’eau, que les eaux stagnantes des rivières ou celles plus infinies et plus rares de lacs. Cet homme sans miroir et sans Ferrari ne voyait pas comme nous, ne pensait pas comme nous. Il espérait comme nous. Il espérait comme toi Nina. 

 

Cet homme qui priait et qui rêvait comme toi Nina, cet homme qui ne voyait pas les avions voler de continent en continent. Cet homme qui ne savait pas qu’un jour un avion, puis des centaines d’avions et puis tant d'autres, transporteraient quatre-cents personnes par vol vers d’autres cieux. Ds centaines d’avions, des milliers de gens dans le même ciel et dans les mêmes nuages que dans son ciel à lui.

 

Et toi Nina, que ne vois-tu pas dans ton futur que cet homme ne voyait dans le sien ? Tu ne vois rien Nina. Tu ne sais rien que le goût du sourire. Tu ne sais pas, tout comme cet homme ne savait pas qu’un jour les femmes et puis les hommes pourraient arrêter le temps qui passe sur leurs visages. Sur leurs visages terres d’illusions. 

 

Tu ne sais rien tout comme cet homme ne savait pas qu’un jour les femmes arrêteraient des rides de creuser leurs visages. Il ne savait pas qu’un jour l’argent servirait à ça, faire disparaître les rides des visages des femmes, et puis de tous les visages. 

 

Mais ce qu’il savait déjà cet homme. Et ce que sait l’éternité depuis qu’elle est née, c’est que le temps ne s’arrête que pour les hommes que pour les fleurs que pour les femmes que pour les enfants que pour le bonheur que pour les larmes.

 

Le temps ne s'arrête pas.

 

Il tue. 

 

Et c’est peut-être pour ça qu’un jour les hommes et les femmes ont jeté les chapelets et ont arrêté de prier. N'arrête pas d'écrire Nina, pas tout de suite. Pas tant que d'autres hommes prieront.  



13/03/2017
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